La famille KNOEPFFLER

Les journées de Novembre 1918 à Saverne

 

 

LES JOURNEES DE NOVEMBRE 1918 A SAVERNE

 

 

LE RETOUR A LA FRANCE

 

     Le communiqué du Grand Quartier Général Français, du 19 novembre 1918, 23 heures, annonçait que l’avance des troupes continuait de se faire sans autres incidents que les manifestations de joie de la population ; que les avant-gardes se sont établies sur le front Kirrberg - Hommarting – Saverne – Allenwiller et Wangen. On y relève ces mots : « l’entrée de nos troupes à Saverne, sous le commandement du général Gérard, s’est effectué au milieu d’un grand enthousiasme ».

 

     A cette heure-là, notre ville venait de célébrer ce magnifique événement. La France, où vivaient tant de Savernois d’origine et des amis innombrables de notre ville, apprenaient avec une joie profonde ce qui s’était passé ici, au pied des Vosges, du Haut-Barr, grâce au communiqué ci-dessus mentionné.

 

     Dans l’ordre du jour du 14 novembre, le généralissime avait rappelé l’histoire moderne des provinces recouvrées et marqué l’esprit qui devait animer les libérateurs lors de leur entrée. Deux fois la ville de Saverne y est mentionnée, d’abord à l’occasion du mouvement protestataire  de l’Alsace après l’annexion de 1871 (le 18 février 1874, dit l’ordre du jour, en plein Reichstag de Berlin, M. Teutsch, député de Saverne, renouvelait, au nom de tous les représentants des départements annexés, récemment élus, la même protestation) , en suite en rappelant l’affaire qu’en 1913, donc peu avant la guerre mondiale, avait provoquée le militarisme prussien. Ainsi Saverne prenait une place d’honneur dans ce texte officiel important, inspiré de sentiments profonds. Certainement les hommes et les femmes de tout le pays étaient encore mieux disposés et ressentaient encore plus de joie à entendre quelques jours plus tard la nouvelle de l’accueil enthousiaste des troupes par la ville de Saverne.

 

     Le communiqué nommait le général Gérard. Il commandait la 13e armée, composée se six divisions. Elle formait l’aile droite du groupe d’armée du général de Castelnau, dont l’aile gauche, comprenant quatorze divisions,  était placée sous les ordres du général Mangin, originaire de Sarrebourg. Sans la signature du traité de l’armistice, une grande offensive, bien préparée et puissante, aurait été déclenchée, entre Verdun et les Vosges, en direction de Sarrebourg, Metz, Sarrebruck. Tout comme les autres offensives, menées plus au nord, celle-ci n’aurait pas manqué d’atteindre ses buts, certes ; mais quelle misère, quelles dévastations auraient frappé la Lorraine et notre région, et que de nouvelles hécatombes de vies humaines… Du fait de l’armistice, la situation militaire avait changée, il n’y eu plus de combats en occupant les territoires, mais une avance calme, régulière, sans effusion de sang.

 

Derniers préparatifs

 

     L’entrée des soldats français à Sarrebourg eut lieu le dimanche. C’est dès ce jour-là, le soir, que la municipalité de Saverne avait pu entrer en rapport avec le commandement de l’avant-garde dans la cité lorraine. Le même jour, l’ancien maire Louis Knoepffler fut rétabli dans ses fonctions par le conseil municipal. Dans l’élaboration et l’exécution du programme de l’accueil, conseil municipal et comité des fêtes travaillèrent main dans la main. La plupart des familles avaient déjà fait le nécessaire ; les maisons avaient mis un habit tricolore, dès le début de l’après-midi de dimanche.

 

     Mais un travail gigantesque restait à accomplir sur le plan communal. Des centaines de sapins devaient être abattus, amenés et dressés au bord des rues ; des drapeaux innombrables destinés au décor des voies et des bâtiments publics devaient être confectionnés en hâte. Les écussons qui portaient l’aigle de l’Empire furent peints aux trois couleurs et frappés des lettres R.F. Le bleu alla remplacer, aux oriflammes, le noir, couleur de la tristesse.

 

     Le 19 novembre (mardi), vers 11 h, une auto, qui avait maintenu le contact avec Sarrebourg, apporta la nouvelle que l’après-midi (on disait à 3 h) un gros contingent français ferait son entrée sous le commandement d’un général. La nouvelle fut publiée par l’appariteur, une sorte d’empressement fébrile s’empara de la foule. Dans toute la mesure possible, on acheva le décor. Toutes les rues et ruelles étaient richement ornées. Plus d’un, ému aux larmes et bouleversé par l’attente et la joie, sortit les vénérables souvenirs de famille, des insignes et décorations militaires de jadis, de l’époque d’avant 1970, ou bien l’étoffe, fanée par le temps, de vieux drapeaux.

 

     A l’entrée de la ville, au bas de la côte, où s’élevait le restaurant du Tivoli, une banderole, avec l’inscription « L’Alsace vous salue », était tendue par-dessus la route. Une couronne énorme, munie de guirlandes, offerte par le patriote Georges Guntz, reliait sa maison à l’hôtel de ville ; un peu plus haut un grand transparent, pourvu d’un beau cadre, allait de la maison Victor Schisselé à la pharmacie du Poisson ; il disait : "Saverne salue ses libérateurs". Au milieu de cet affairement on vit arriver des estafettes : cyclistes ou cavaliers. Voici qu’après ceux-ci on vit s’arrêter devant la mairie deux belles voitures d’où l’on vit descendre deux généraux ; on apprit que c’étaient le général d’armée Gérard et son chef d’état-major, le général Douchy. Après un arrêt d’une heure environ, ils repartirent.

 

     On se reprit pour soigner sa propre présentation, mettre un beau costume où l’on piqua ou cousit une cocarde.De nombreuses jeunes filles mirent le costume alsacien au grand nœud qui symbolisait bien, depuis 1870, la fidélité.

 

     Les responsables de l’accueil eurent une surprise désagréable : le vin qui devait être servi et qui avait été commandé n’arriva pas. Il fallait donc trouver d’autres vins, lesquels furent sortis du fond de leurs caves par les conseillers, les membres du comité, d’autres personnes encore. Les bouteilles prirent place sur les longues tables installées au beau milieu de la place du Château.

 

     Vers 15 h, associations, personnalités etc. se rendirent aux emplacements prévus au programme. On vit se regrouper les vétérans de 1870, au nombre d’une trentaine, derrière un vieux drapeau, conservé au musée. Le drapeau de la Garde nationale de 1848, gardé également au musée fut suivi des membres du Souvenir français. La bannière de l’Union chorale de Saverne revit aussi la lumière.Des groupes d’Alsaciennes parcouraient la Grand-rue en chantant.

 

L’entrée enthousiaste

 

     En raison de la méprise commise à propos de l’heure de l’Europe occidentale et celle de l’Europe centrale, l’entrée des troupes se fit une heure plus tard qu’on n’avait pensé. Une délégation conduite par l’adjoint Henry Wolff, comprenant aussi le comité de fête, attendait les troupes à l’entrée de la route de Lutzelbourg ; là se sont réunis de même les enfants  des écoles avec leurs maîtres et maîtresses. De là le défilé devait prendre la route de Paris (tronçons appelés aujourd’hui avenue de la Roseraie et impasse des Fabriques) pour rejoindre la côte près du Tivoli, et parcourir toute la Grand-rue (à commencer par l’actuelle rue de la Côte). Le maire Louis Knoepffler, entouré d’un certain nombre d’invités, se tenait Place du Château, d’où la revue devait être placée.

 

     Enfin, des rumeurs, et des cris : « Ils arrivent », « Les voici »… Les troupes avaient leur pas rapide, auquel la population n’était pas habituée ; elles étaient précédées d’un officier à cheval, de la clique – clairons et tambours – et d’une musique régimentaire. A la tête des hommes, en tenue de campagne, pleinement équipés, au teint halé par la vie des tranchées, s’avançait le général Duport commandant le 6e corps d’armée. La cadence était alerte, l’avance rapide ; au Tivoli, ce fut aussitôt, sans désemparer, un mouvement vers la droite pour s’engager dans la Grand-rue. Les trottoirs étaient replis de monde. On était d’abord un peu stupéfait à voir ce pas presque précipité ; la foule était heureuse, enthousiaste, poussait le cri « Vive la France ». Certains airs on les connaissait, car ils ont toujours figuré au répertoire des sociétés de musique locales.

 

     Arrivés à hauteur de la place, les musiciens obliquèrent pour s’arrêter là en vue de la revue que fit passer le général Lebocq. Le défilé durait plus d’une demi-heure. A l’infanterie succédaient plusieurs batteries d’artillerie composées de canons 75.

 

 

                             

      Gl Duport               Gl Lebocq                  Gl Douchy                  Gl Gérard

 

     Il y avait tant de monde sur la place et ses abords qu’il y eut, par moments, des bousculades ; et beaucoup de messieurs âgés eurent du mal à rejoindre les emplacements réservés.

 

    Après la revue, ce furent, place du Château, à proximité de la caserne du haut de laquelle flottait gaiement un grand drapeau tricolore dans l’air du soir, les salutations. Le maire Knoepffler parla le premier : il commençait par rappeler la séparation douloureuse et les humiliations subies par les Alsaciens fidèles, puis il rendait hommage aux innombrables morts de cette guerre, pour remercier enfin de tout cœur les libérateurs, français et alliés. Il dit notamment : « Les mots sont impuissants à dire tout ce que nous éprouvons, mais valeureux soldats, regardez autour de vous, voyez cette joie écrite sur tous les visages, voyez notre bon peuple alsacien, si peu expansif d’habitude, dans des transports d’allégresse que nous ne lui avons jamais vus. » A un moment sa voix sembla s’étouffer ; à l’évocation des soldats morts, il pensait aussi à son propre fils Auguste, tombé en 1915 : « Tous nos morts, depuis 48 ans, surtout ceux de cette guerre, qui ont été forcés de combattre pour nos ennemis et qu’animaient, au moment du départ, des sentiments que l’un d’eux a traduits par ces mots : je veux bien mourir pourvu que l’Alsace-Lorraine redevienne française – ont tressailli dans leurs tombeaux .»

 

     Dans sa réponse, le général dit d’abord sa joie de l’accueil magnifique, enthousiaste fait aux troupes. Il tint à faire remarquer qu’en France on n’avait jamais cessé de suivre avec attention tout ce qui se passait au-delà des Vosges. A présent, conclut-il, que nous avons réussi, avec l’aide de nos alliés, à reprendre possession des deux provinces et à revenir comme leurs libérateurs, l’Alsace peut avoir la certitude d’un traitement plein d’égards.

 

     Le recteur Alphonse Huber adressa ensuite des paroles de gratitude et d’admiration aux troupes et à leurs chefs.

 

     Enfin ce fut le tour de la plus jeune génération qui s’exprima par la voix de la petite Thérèse Adès, en costume d’Alsacienne, en compagnie de deux fillettes, Marie-Louise Fetter et Annie Siegrist. On a recueilli ses paroles :

  

« Mon général,

Nous sommes la naissante Alsace qui apporte à la France l’espoir d’un avenir heureux. Nous aimons nos glorieux libérateurs et nous voulons les embrasser au nom de tous les petits enfants de Saverne. Vive la France ! »

 

     La petite Thérèse Adès présenta un bouquet au général qui la serra sur son cœur et avec elle, symboliquement, tous les jeunes de Saverne.

 

 

 

     Après ces allocutions et les nombreuses présentations, le vin d’honneur fut servi par de charmantes Alsaciennes, au nœud orné de la cocarde tricolore. En ces minutes de bonheur et de joyeuses « retrouvailles », maints souvenirs cruels ou sombres auront été bannis à jamais, ou du moins auront perdu leur pointe acérée.

 

     La nuit descendant lentement sur la place, sur les rues et ruelles si richement pavoisées, sur les soldats, qui oubliaient les dures et cruelles fatigues, sur la population, sur le tumulte, les marches et les chansons. C’était le premier jour, un grand jour, qui pénétrait les cœurs et les esprits dans leurs profondeurs et imprégnait la mémoire d’une façon exceptionnelle, celle des particuliers comme celle de la collectivité.

 

 

Source : Les Dernières Nouvelles d’Alsace Edition n° 274 – Samedi 23 novembre 1968

Article signé A. Wollbrett.      



19/11/2012
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